Nicole Ferroni, ou la géopolitique hormonale

Non dénuée de talent ou d’intelligence, au débit de parole rapide et animé, Nicole Ferroni est la nouvelle coqueluche de la chronique radio. Percutante, drôle, pertinente ? Certains lui prêtent ces qualités et voient en elle ce que la médiocre Sophia Aram aurait aimé incarner. Nicole Ferroni a récemment gratifié son auditoire d’une chronique d’une lourdeur éléphantesque, logorrhée tourbillonnante enrobée de sanglots et de soubresauts. Produit parfait de l’ère de l’infotainement court-termiste, la chronique est donc partagée massivement sur twitter et facebook.  Magie de l’internet ! Sabrina, coiffeuse en PACA, peut donc partager ce contenu à ses « amis », en disant « on ne peut pa dire kon ne savai pa »

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Dans la mesure où il faut juger et jauger les choses à l’aune de leurs prétentions, on ne reprochera pas ici à Nicole de ne pas être experte en géopolitique. Nicole n’a pas bourlingué au proche orient, et ne prétend pas avoir des compétences en la matière. Elle commence même par le reconnaitre au début de sa chronique. Dans un élan de candeur touchante, elle qualifie les casques blancs de « civils sauvant d’autres civils » et affirme s’informer uniquement via un « journaliste indépendant » sur twitter… Mais la chronique en question est un éléphant dans un corridor, et comptez sur nous pour ne pas le rater. Epaulons…

L’effusion…google google yahoo

La première chose qui frappe dans cette chronique, c’est la quasi absence de faits et l’omniprésence d’éléments purement émotionnels et subjectifs. On a ainsi le droit à des morceaux de bravoure tout droit sortis d’une dissertation de première L sur la seconde guerre mondiale : « La guerre (…) C’est prendre un présent et le réduire en cendres. Remplacer le cosy par la terreur. Mettre un chaos qui ne laisse plus aucune place à la douceur pas même celle des pâtisseries car la guerre avale toutes les couleurs et met du noir à la place. » Quitte à faire dans le lieu commun, une citation bien connue aurait été plus approprié : « la première victime de la guerre, c’est la vérité ».

On l’a compris, la guerre c’est pas beau et c’est pas bien ! Bref, ce sont les hormones qui parlent plus que le cerveau, et on est plus sur un esprit Konbini que Descartes…

Les violons sont donc de sortie, comme en témoigne la gorge nouée de Patrick Cohen pendant les quelques secondes de silence faisant résonner la gravité de la messe médiatique qui vient d’être dite.

…et les faits

Pas question de nier que la situation sur place doit effectivement être horrible, pas question de nier que les Russes ne font pas dans la dentelle. Mais on aimerait quand même tendre le micro à Nicole, et lui demander de développer un peu : 

  • Pourquoi ne parle –t-elle pas de la surrévaluation grotesque du nombre de civils présents à Alep Est ? Les médias bombardent le chiffre de 250 000 comme parole d’évangile. On sait aujourd’hui que l’estimation la plus hautes en dénombrait 80 000…
  • A l’heure ou la « desintox » est à la mode, pourquoi ne déconstruit-elle pas le propaganda stunt autour de la petite Bana Aled ? Il s’agit d’une petite fille de 7 ans, qui s’est découvert une vocation de PR parfaitement bilingue sous les bombes russes. Tous les projecteurs médiatiques sont donc braqués sur cette Anne Frank du pauvre, et personne ne cherche à s’intéresser à la spontanéité du compte twitter, dont on laisse au lecteur le soin d’apprécier la teneur :

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  • Pourquoi ne pas mentionner l’intoxication informationnelle présente sur twitter ? Les images et vidéos censées appuyer les dires d’exactions commises par l’armée syrienne et ses alliés venaient toutes de conflits précédents.
  • Pourquoi ne parle-t-elle pas des bombardements aveugles que commettent les rebelles avec leur fameux « hell’s canon », c’est-à-dire des bombonnes de gaz tirées par des mortiers ? Cette arme, par définition imprécise et chaotique, n’a pas l’air de torturer la conscience de nos « combattants de la liberté ».
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Rebelle modéré rédigeant la nouvelle constitution de la Syrie libre et démocratique
  • Pourquoi ne donne-t-elle pas la parole aux habitants de l’ouest, mais aussi de l’est ? Elle pourrait ainsi apprendre que les civils d’Alep est sont pris en otage – parfois au sens littéral du terme- par les groupes armés qui occupent leur quartiers ? En décembre, des civils tentant de fuir ont ainsi été froidement mitraillés
  • Pourquoi ne s’intéresse –t-elle pas aux nombreuses images et vidéos qui démontent le mythe des «white helmets », qui ressemblent plus à des attachés de presse d’Al Qaida qu’a mère Teresa ?
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Les sauveurs humanitaires indépendants à l’oeuvre
  • Comment explique –t-elle les images et vidéos de liesse populaire dans Alep libérée ? S’agit-il selon-elle de vidéos truquées ?
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Célébration dans Alep libérée (image truquée par le GRU)

Bref, à écouter Nicole Ferroni, l’armée syrienne ne vise que les hôpitaux, les écoles, les boulangeries et les usines de poupées, et se réjouit profondément à chaque civil tué. Sait-elle que certains soldats ont de la famille à Alep est ? A l’inverse, les bombonnes de gaz des rebelles ne tuent naturellement que des soldats, bien proprement… Si on mesure le caractère horrible d’une guerre à la souffrance subie par les civils, alors la guerre que mène l’Arabie Saoudite au Yémen est bien pire que l’offensive de reconquête d’Alep. Je vois venir le contradicteur : « « Et le Yémen », les apologistes d’Assad disent tous ça, c’est trop facile ! ». Sauf que si on s’en tient au nombre de civils morts et blessés ramenés durée de la guerre, et si on compare les méthodes de ciblages et les « faits d’armes » (comme le bombardement de funérailles ayant tué 700 personnes), la comparaison est vite pliée.  Le silence de ceux qui vitupèrent contre la Russie et se font bien discret sur le Yémen n’en est que plus criant. Ne parlons pas du fait que l’armée syrienne tente de libérer le territoire national tandis que l’Arabie Saoudite bombarde un pays étranger.

Cette chronique est à mettre en relation avec le traitement dérisoire que l’émission Quotidien de Yann Barthes inflige à l’actualité internationale. Un jeune journaliste y traitait la question d’Alep à travers le prisme de ses skypes et whatsapp avec un certain Ismael, résidant à Alep Est. Le journaliste en question inonde donc twitter des correspondances d’Ismael. Si Ismael à froid, ou à le pied gauche qui le gratte, Hugo Clement ne manquera pas de relayer l’information Pas un gramme d’analyse, pas une once de prise de recul.. Il n’est jamais au grand jamais question des enjeux de cette guerre, la Syrie actuelle étant le point de rencontre et d’empilement des conflictualités régionales et internationales.

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Toi aussi, comprend la guerre en Syrie avec Ismael
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Bizarrement, Hugo Clement fait l’impasse sur le fait que les bus affrétés par le gouvernement pour évacuer les civils aient été brulés par les rebelles

Par son approche purement émotionnelle, et dont le contenu est de fait désinformateur, Nicole Ferroni apporte des litres d’eau au moulin du désaveu des médias officiels. Quand on ne relaie qu’un seul discours, et qu’on discrédite – à priori et à grand renfort d’anathèmes – toute tentative d’information alternative,  on ne peut s’étonner de la défiance croissante dont on fait l’objet.

Note : ce petit texte n’est pas un mémoire universitaire, et nous estimons le lecteur assez grand pour trouver l’information supputant les éléments factuels avancés ci-dessus. Il n’y a donc pas de notes de bas de page.  A ce propos, des éléments factuels en contradiction avec le discours officialiste se trouvent de plus en plus dans les grands médias, notamment dans le Figaro et Marianne.